Je viens de me réveiller sur la prière matinale qui m'a bercé doucement pour que mes yeux s'ouvrent. Il y a de ces moments récurrents et inaltérables, dans la vie, et la prière du matin en est un. Elle vient me chercher à chaque fois et me ronronne à l'oreille des mots que je ne comprends pas mais que je comprends quand-même.
Je vais me recoucher dans quelques instants, ça c'est certain, mais laissez-moi avant tout vous raconter ma journée d'hier. Elle a été longue, mais passionnante et remplie de fous-rires.
J'ai passé la journée avec Emel. Toute seule avec Emel. Ça veut dire: Prépares-toi Marie-Eve, tu vas parler turk-lish aujourd'hui. Emel comprend l'Anglais mais ne le parle que par obligation. Je comprends le turc et ne le parle que par obligation... Ensemble, nous confondons les septiques. On parle toute la journée dans un langage que nous seules comprennons.
Avant-hier, rappelez-vous que j'étais aussi avec Emel, mais j'avais Özlem et Emre avec moi pour faire la traduction. Là, ça allait être notre vrai test. Il n'était plus question de se faire traduire par quiconque, ni de simples conversations de trente minutes par Skype avec des tonnes de dictionnaires, comme elle et moi avions l'habitude de faire. Nenon, là, c'était la vraie vie, du face à face intensif et pour plusieurs heures... sans personne pour nous guider. Et le test allait être d'autant plus difficile que je faisais ma bonne action du voyage: du bénévolat. Emre a lancé son école d'anglais il y a un mois et il est en recrutement d'élèves. Pour trois jours, à Serdivan (un secteur de Sakarya), il y a une foire sur l'Éducation où universités et collèges se font la compétition pour attirer les élèves. Emre a monté un kiosque pour cette foire. Hier, Emel et moi étions en charge du kiosque pour attirer les clients, tandis qu'Emre restait dans les locaux de l'école pour les faire visiter aux prospects intéressés à le faire.
Donc... j'allais non seulement devoir communiquer en turc avec la belle Emel... mais j'allais aussi devoir le faire avec des clients potentiels pour Emre.
Ça me fait plaisir de l'aider. J'admire son courage de se lancer en affaires dans un contexte difficile en Turquie présentement. Et le fait que je sois une étrangère allait attirer de la clientèle au kiosque, c'était évident. Ça, il le savait. Mais il n'osait pas me demander de l'aider. Alors je me suis imposée. ;) Et... j'ai eu un plaisir fou à le faire ! Vraiment.
Je dirais que j'ai pris de l'assurance, hier.
Avec Emel, c'est un succès. On a tellement ri qu'on n'était même plus capable d'arrêter, à la fin. Il faut dire qu'il y avait matière à rire.
Par exemple... Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas timide... Alors, j'ai expliqué ma stratégie à Emel. Je vais établir un contact visuel avec les gens de la classe d'âge qu'Emre vise et leur lancer un très joyeux Merhaba, et toi, tu peux commencer à expliquer le concept. Je sers d'appât, bref, et toi tu pêches... Alors je teste ma tactique... Et ça marche. ahahahah ! Mais pas tout à faire jusqu'à la pêche. Emel me regarde en pleine action et rigole... J'établis le contact... et les mecs ralentissent, regardent le stand, font un pas vers l'avant (intérêt ??), un pas vers l'arrière (hésitation???), un pas sur le côté (OMG Une étrangère à Sakarya!!!!), et ils se sauvent en me répondant avec un large sourire. Je dis "ils", car ce sont les mecs qui font ça. Les filles, elles, elles viennent me parler et sont vraiment intéressées par le concept de l'école. Les mecs, eux, ils préfèrent dévisager l'étrangère. Donc oui, les gens voient le kiosque... Est-ce qu'on pêche des clients ??? Quelques prospects, oui. Mais pas tant que ça. :) Je dois changer de tactique.
Je dis à Emel: "On va laisser faire le "Merhaba", je vais dire "hello, do you speak English?" à la place...
Erreurrrrrrrrrrrrrrrrrrrr !!!!!!!!!!!!!!!!
Ça, ça confirme aux mecs que JE SUIS VRAIMENT UNE ÉTRANGE. ahahahah.
Et le résultat est le suivant: Ça attire la race "Angus-man", les paons *ou devrais-je dire les bovins?)qui sont tout SAUF des clients avec potentiel pour Emre ! Ils viennent, et comme des cons, ils pointent Emel en disant: turque et me pointent en disant: étrangère. Comme deux belles poulettes de luxe. "Moi je veux manger turc ce soir". "Non, moi je préfère bouffer canadien"... Pis ça se bombe le torse en passant devant notre "stand". Certains passaient même un peu trop souvant. hihihi. Emel m'a donc appris qu'en turc aussi, on dit le mot : poulette. Ça se dit "piliç", pout votre info. Elle me dit en riant, moitié en anglais et moitié en turc: "nous sommes vraiment les piliç de la place, aujourd'hui." Deux belles cocottes, oui. Mais tant qu'il y a des gens au stand, je suis contente, car il y a apparence d'achalandage. Et ce facteur nous a aidé. Nous avons pigé quelques spécimens de clients potentiels vraiment intéressés, parmi le lot d'angus men.
Il y avait une autre poulette sur le site, en fait... Dans le kiosque juste en face du nôtre, pour être plus précis... Un tableau intelligent.
Oui oui, un tableau branché à internet qui est informatisé. Emre aussi en a un, mais l'avait laissé à l'école. Mai l'école en face (qui offrait par ailleurs des cours d'Anglais comme nous) avait installé son propre tableau pour attirer les clients.... et sincèrement, quelle erreur de leur part ! Car au lieu d'attirer des clients de la plage d'âge voulue... ils attiraient les enfants qui voulaient tous essayer le bidule machin chouette.
Cependant, en milieu d'après-midi, coup de théâtre: ta-ta-ta-taaaaaaaammmmmmmm.... ta-ta-ta-taaaaaaaaaaaaaaammmmmmmmmmmm... Un Américain dont j'ai entendu parlé arrive. Il est ami avec Emre. Il vient saluer Emel, puis se présente à moi: "Salut moi c'est Eric." ... Emel lui demande : "Qu'est-ce que tu viens faire ici?" Il nous répond, sérieux comme un pape: "je viens voir le tableau intelligent". What the F... ???? Tu nous niaises, man ???? ahahaha
Parenthèse. Lui, c'est un Américain qui passe sa vie à se promener et à se trouver des jobs de prof d'Anglais un peu partout. Il est à Sakarya depuis environ un an et c'est le collègue d'Özlem à BDM et l'ex-collègue d'Emre. Il a la quarantaine, vient de l'Utah et parle avec un gros accent américain. Il me connait sans me connaitre, car on fait parti d'un groupe facebook similaire et il m'a vu sur le profile d'Emre.
Fin de la parenthèse.
Donc il vient POUR le tableau de l'autre école. On le regarde donc s'asseoir, s'installer bien confortablement le derrière, et observer amoureusement le tableau. Je dis amoureusement, car c'est tout juste s'il ne bavait pas d'excitation. Emel me regarde et me dit: C'est un peu frustrant à dire, cette piliç de tableau nous compétitionne...
Le temps passe... et l'Américain est toujours là. Une heure plus tard. Deux heures plus tard. Parfois il va faire sa marche, mais il revient toujours. Comme obsédé par le maudit tableau. Je comprends pas comment un tableau peut hypnotiser quelqu'un aussi facilement. Mesmer, sors de ce tableau !!! Je suis ébahie de voir toute la tendresse dans ses yeux lorsqu'il s'approche et se saisit du crayon intelligent, et se met à barbouiller son nom sur l'écran... et à faire un rectangle autour... et à déplacer le rectangle...
Simonac, on peut faire ça avec Microsoft Word !!!!!!!! Y'a pas à dire, il capotait !
Dans l'intervalle, notre Emre appelle sur le cell d'Emel... Elle lui raconte que son ami Éric nous donne un show depuis quelques heures, drette là en avant de notre kiosque. Elle me tend ensuite le téléphone et je dis à Emre: "Mon ami, je crois qu'Emel et moi on va avoir un Henna Night bientôt car il va y avoir noce entre l'Américain et le tableau intelligent.". Je le sens qui sourit à l'autre bout de la ligne.
Non mais, quelle passion pour un simple tableau ! Wow !
En résumé, la journée a été riche en niaiserie de ce genre. Je ne sais pas si Emel et moi avons réussi notre misson: aider Emre dans son recrutement. Cependant, on a bien rigolé. On s'est gavée de döner kebabs au poulet, de crème glacée au mastic et de cola. J'ai parlé en turc, du moins j'ai tenté ma chance. Les gens semblent me comprendre. S'ils ne comprennent pas, ils ne le montrent pas, du moins.
Je suis retournée à BDM en dolmus (mini-bus/taxi de ville) et j'ai assisté à la dernière classe de traduction d'Özlem, car j'adore le concept. Elle me place en équipe avec un élève et je tente ma chance. L'élève me corrige et je le corrige. Travail d'équipe efficace.
Puis, après le cours, nous sommes allés souper chez Sibel, la soeur aînée d'Alper. Elle nous avait préparé un vrai souper turc typique, c'est à dire: des köfte (boulettes de viande aux épices), du boulghour et des pommes de terre, avec du ayran (le fameux yogourt salé à boire) et ... du bon melon en dessert, avec le thé turc!!!!!! Le meilleur melon au monde est turc. Je vous l'ai déjà dit dans le passé. Là, je réitère.
Grosse journée, bref. Mais quelle belle journée ! Que de rencontres, encore ! Et comme vous le savez probablement peut-être, je ne voyage pas vraiment pour me prélasser sur une plage ou visiter des cathédrales, même si j'adore aussi le faire. Mon but premier, ce sont les rencontres. Et oui, je peux maintenant le dire sans gêne de passer pour une vantarde hautaine, oui, j'ai le don d'en faire de très belles. J'ai un don pour choisir mes amis. J'ai un don pour m'entourer de gens fabuleux.
Özlem, Emre, Alper, Sibel, Emel, et tous les autres... Je vous adore !
Bonne journée, les piliç !! (pis les coqs aussi).
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