jeudi 24 mai 2012

Du henné et des prières

Bonsoir !
Il est 2:20 du matin et je dois vous parler de deux journées tout à fait différentes que je viens de vivre.

Premièrement, je vous raconte mon "hier". Hier soir, il y avait une soirée de Henné pour mon amie Nurdan, que j'ai connue en Août dernier. Nurdan va quitter Sakarya pour Istanbul. Elle se marie Samedi. Sa soirée de henné est d'une certaine façon son enterrement de vie de jeune fille. C'était bondé ! Wow! Déjà, Nurdan a changé de vêtements quatre fois pour enfiler à chaque fois une tenue traditionnelle turque pour différents moments de la soirée. Toutes ses tenues étaient grandioses. Ses parures de cheveux aussi. Et ses chaussures, oh la la ! Elle avait entre autre une superbe paire de chaussures dorées que j'aimerais bien avoir ! Il me semble que ça me ferait bien, des talons hauts dorés, pour porter en hiver au bureau avec mes collants noirs, ma jupe noire et un de mes hauts noirs. Que voulez-vous, j'aime être toute en noir avec un méga splash de lumière ou de couleur dans les chaussures. C'est mon style !

Alors donc, hier soir vers 20h30, Alper nous a "dompées" à Erenler, une des villes de Sakarya. En fait, Sakarya, c'est compliqué. C'est une province-ville. C'est comme une méga grosse ville, mais en fait c'est plusieurs villes amalgammées, un peu comme Québec avant les fusions municipales. Donc on avait rendez-vous avec 250 autres femmes à Erenler, pour la "soirée de femelles".  Nous avions décidé de sortir à quatre filles. Özlem et moi, évidemment, mais aussi deux ex-collègues de Nurdan: Arzu, et Anna. Pour vous mettre en contexte, Anna est une Polonaise de 6 pieds +++ avant les talons hauts et vivant ici depuis trois ans. Elle a rencontré son mec sur internet (ils avaient un ami commun) et ils se sont mariés. Elle travaille avec Özlem à BDM. Arzu est aussi prof d'anglais à BDM, et c'est tout un personnage. Elle est rigolote, et danse comme une déchaînée. Je l'aime beaucoup. Elle a de ces expressions faciales déconcertantes qui ne peuvent faire autrement que de provoquer des sourires.
Donc, nous, les quatre "chicks", chrômées à la puissance dix pour l'événement, on débarque avec nos robes et nos souliers à paillettes (J'ai vraiment des souliers à paillettes) à la soirée. Là, on danse (Anna et moi on se sauvait évidemment dès qu'une danse traditionnelle turque commençait... Vous savez, les danses en ligne et moi, on ne fait pas un ménage heureux, donc aussi bien d'abstenir!), on bouffe, on rebouffe, on redanse, on se fait poser avec la future mariée, on se brasse le gras de bedaine dans des danses du ventre endiablées... C'était super ! Une vraie belle soirée de filles, sincèrement.
Comme les hommes ne sont pas admis dans ces soirées, les femmes mettent leur robe la plus sexy et sortent leur talons bling bling ! J'ai vu des paires de chaussures absolument fabuleuses, et des pédicures françaises... sur des pieds de femmes voilées. Ça, c'est un choc culturel. Puis, Anna m'explique que les femmes, sous leurs vêtements islamiques traditionnels, portent souvent des sous-vêtements absolument afriolents, et des décolletés fabuleux. À voir l'entretien des pieds de certaines, je n'ai plus de doutes là-dessus. Alors robes éclattantes, sans manches ni bretelles, maquillage clinquant, chaussures décadantes... Ça rivalisait de féminité. J'ai grandement apprécié ce moment. Je ne vous conterai pas ce qu'est une soirée de henné, car je l'ai déjà fait en septembre 2011, lors de mon précédent voyage. Vous pouvez en retrouver le récit sur ce blog. Mais je vais vous dire une chose: Quand le futur marié entre dans la pièce pour sa partie de la soirée, je me mets à sa place; il doit capoter ! Les lumières ont été fermées, et il ne voit que 250 chandelles allumées, des bling blings de robes et de chaussures dans la lueur de celles-çi, et entend d'une seule voix toutes ces femmes chanter un hymne traditionnel en tournant autour de lui et de sa future femme. Puis, surprise ! Les lumières s'ouvrent, et là, il voit de ses yeux de mec toutes ces femmes en parures colorées, avec un mini-voile qui le scruttent. Ça doit être assez intimidant, surtout qu'il est le seul homme. Un coq dans un poulailler ? Hum... Plutôt une aiguille dans une botte de foin. Il doit se sentir "assez perdu merci!". hé hé hé.

Dans un tout autre ordre d'idées, aujourd'hui a aussi été une journée forte en découvertes et constats. Je vous explique. Je m'étais promis une journée axée sur l'Islam pendant ces vacances. Pourquoi ? Parce que je tente de mieux connaitre ce pays depuis longtemps, mais je me suis rendue compte que je n'avais pas les connaissances religieuses nécessaires pour bien en saisir l'essence. Alors, j'en ai parlé à Özlem avant de voyager et elle a concoté un plan pour moi. On allait partir en quête d'infos en anglais sur l'Islam. Vous savez, pas ce genre d'info qu'on trouve sur internet. Nenon, je voulais principalement des resources qui pourraient m'expliquer des trucs si j'ai des questions. Des gens plus qualifiés que mes amis pour le faire. Donc, premier arrêt, le Müftülük.
Le Müftülük, c'est en fait un département du Ministère Islamique, c'est à dire celui qui s'occupe principalement de ce qui touche à l'Islam en Turquie. Ils sont en quelques sortes des guides spirituels, et ils dirigent les gens ayant des questions vers différentes ressources. Ils peuvent aussi octroyer des certificats pour les Turcs voulant aller à La Mecque, car vous savez peut-être qu'aucun non-musulman ne peut entrer en terre sacrée. Il faut donc une preuve.  En arrivant là-bas avec Özlem, elle demande le secteur des femmes. Ce qui est bien, c'est qu'ici, ce sont des femmes qui répondent aux femmes, et des hommes qui répondent aux hommes. À la base, c'est bien moins intimidant. Alors on se présente là et on nous accueille à bras ouverts. Özlem explique que je suis une Canadienne intéressée par la Turquie, mais qui n'a aucune connaissance valable sur l'islam. Les dames semblent ravies que je m'intéresse à leur religion. Souvent, les étrangers ont un regard de peur sur l'Islam, car ils n'en connaissent que ce qu'ils ont vu à la télé, et pensent que tous sont fanatiques. Alors, ils me trouvent rafraichissante. C'est le mot utilisé. Cependant, les dames du Müftülük n'ont pas de livres en Anglais à me prêter. Nous sommes à Sakarya, et comme je vous ai déjà expliqué, il ne pleut pas des étrangers, ici. Cependant, on nous dirige vers la Ilahiyat Fakültesi. C'est la faculté des Religions de l'Université de Sakarya. Quelle bonne idée ! Là-bas, nous rencontrons premièrement un Professeur très imposant qui est ravi de me recevoir. Il appelle un collègue professeur spécialisé en Chrétienneté (ce dernier a étudié deux ans à Chicago un post-doctorat en Chrétienneté)  et on prend le thé, on jacasse. ils me trouvent un livre de base en anglais dans leur fouilli de profs d'université occupé... Puis, le premier professeur a l'idée d'appeler un collègue à Istanbul. Ce dernier est ravi et a plusieurs livres pour moi. Il les a donc envoyé sur l'autobus ce soir et le Professeur ira les chercher demain à la centrale. Je retournerai donc avec Özlem à l'Université demain après-midi pour les prendre. Non mais, quelle bonne idée que de venir rencontrer les sommités du département d'études islamiques. Comme ils  ne sont pas habitués à avoir de la visite de l'étranger, ils ont déroulé le tapis rouge. Aussi, le deuxième professeur m'a présenté à son collègue, Un professeur spécialisé en interprétation coranique. Celui-là, c'est le pluggé de la gang. Il me dit: "Si tu as des questions, il te faut des contacts, qui idéalement parlent anglais, et ça tombe bien, j'ai plusieurs amis"...
Il écrit à un collègue en Australie. C'est un ancien professeur de l'Université de Sakarya devenu une sommité mondiale en matière d'interprétation coranique. Il enseigne présentement dans une université de Melbourne aux Études Islamiques. Son collègue me donne la permission de le contacter pour toutes questions. Aussi, il me fournit l'adresse email d'un imam de Kitchener, en Ontario, en me disant qu'un contact au Canada n'est pas de trop.
Je comprends par tout cela qu'il aime l'idée que j'étudie leur religion, et qu'ils espèrent aussi que mes recheches culmineront vers une conversion de l'Islam. Disons que c'est pas mon but. Cependant, j'apprécie leur dévouement.

Je suis plus que servie dans ma quête de mieux comprendre ce pays. J'ai rencontré des gens très généreux et aidant. Mais ce n'est pas tout...  Özlem m'annonce qu'aujourd'hui, c'est un jour spécial dans l'Islam. C'est le début du mois de Recaip. Ça commence par les célébrations en Mosquée du Recaip Kandili.  Ça sonne le coup d'envoi des trois mois les plus saints de l'Islam, culminant en juillet par le mois du Ramadan. Alors, j'apprends que Gaye, la belle-soeur d'Özlem va à la mosquée ce soir avec Alper, le mari de celle-çi. Mes yeux brillent. Özlem le sait. Elle me dit avant même que je demande: "Tu veux y aller aussi, hein?" Et moi de répondre: "Est-ce possible? J'aimerais voir la prière".  Özlem appelle Gaye et lui demande si je peux l'accompagner. C'est un oui. Je m'inquiète alors:" J'suis pas musulmane..." 
Il semble que ce ne soit pas un problème. La Mosquée est ouverte à tous. Je dois simplement faire les ablutions (le lavage de parties précises de mon corps) avant d'y aller, et me vêtir correctement. Je vais être en haut, dans la section des femmes, avec Gaye, et Alper sera en bas avec les mâles. J'suis contente. Je vais ENFIN voir de quoi ça a l'air,  une mosquée en prières. À Istanbul, comme il y a trop de touristes, ils ne laissent pas facilement entrer les non-musulmans pendant la prière. Alors je saisis ma chance. J'suis trop curieuse. Alper est ravi que je les accompagne. Vous vous demandez peut-être pourquoi Özlem ne vient pas avec nous ? Mauvaise semaine du mois. hé hé. Les femmes sont libérées de mosquée pendant cette période. Dans plusieurs religions, by the way. C'était la même chose en Indonésie dans les temples hindous.

Dix minutess avant de partir, je m'habille. Bas, leggings longs, une jupe ample, car je vais être assise par terre, un t-shirt sans décolleté ouvert et un boléro à manches longues. Je prends aussi mon hijab, car je dois couvrir mes cheveux. En Turquie, le hijab se porte à la mode paysanne. On plie le hijab en un triangle, et on noue les extrémités sous le cou. Les pans cachant notre cou, l'effet produit est très joli et esthétique.  Assez romantique aussi. Puis, Özlem vient avec moi dans la salle de bain pour me montrer comment faire les ablutions. Je lave mes mains, en premier, plus les bras, des coudes jusqu'aux mains. Ensuite, je lave ma bouche trois fois, mon nez trois fois, toujours en m'aspergeant de l'eau, les lobes et le creux de mes oreilles trois fois aussi, mon front et ma tête, et finalement les pieds... J'oublie peut-être quelque chose. Le cou? Özlem m'a tout fait faire, mais ça s'est passé rapidement. Puis, je noue mon foulard. Alper m'attend. Il porte une petite calotte ronde pour la prière. On passe chercher Gaye chez elle. Sa voisine vient avec nous.

En arrivant à la Mosquée, je laisse mes chaussures dans une étagère prévue à cette fin et on monte.

WOW ! Cette mosquée est sublime ! Elle est décorée d'ornements dorés et est multicolores. J'adore ! Les tapis sont rouge avec des grosses lignes bleues. Gaye m'explique que les lignes servent à indiquer aux gens où s'asseoir.  Certaines dames plus âgées, lorsqu'elles arrivent, viennent saluer toutes les femmes présentes, une à une, incluant ma personne. La première fois, je suis un peu surprise, mais Gaye me chuchotte "selam" (salut) et ça me rassure. Je croyais que la femme voulais me dire de fouttre le camp. En fait, personne ne se pose de questions sur ma présence ni sur mon habillement. Je ressemble finalement à toutes les femmes qui sont là. Certaines sont en jeans, mais la plupart ont une jupe comme la mienne. Leur âge est varié. Des enfants courrent partout. Ça, ce n'est pas différent des églises du Québec. Les enfants, peu importe où ils sont dans le Monde, n'aiment pas trop les célèbrations religieuses. Certaines mamans ont apporté des friandises pour les calmer, mais ça court et ça crie.
J'ai essayé d'imiter Gaye tout au long des prières (dua) et des prosternations (namaz). J'ai prié à ma manière, cependant. Étant non-musulmane, j'adhère quand-même à une religion monothéiste et je crois en Dieu. Alors, je me suis adressée à Dieu pendant toute la durée de la chose, demandant qu'on aide un ami qui vient de rompre avec sa dulcinée, ou encore en priant pour ma famille, pour que personne ne soit malade. Pour mon amoureux aussi. Je n'ai pas peur de dire que je suis croyante. Les gens dans mon entourage le savent depuis longtemps. Je suis aussi très curieuse de nature à-propos des grandes religions. J'ai déjà visité des temples bouddhistes en Inde, et j'ai même participé à la prière dans un temple balinais, aidé par la femme du prêtre, en 2009.  Au Mexique, j'allais souvent à l'église, et je faisais même partie de groupes de missionnaires.
Aussi,je pratique le yoga. Je ne le fais pas à des fins religieuses, mais plutôt méditative, et pour le bien-être de cette activité physique. J'ai fait plusieurs sessions d'Ashtanga yoga, depuis plusieurs années. Je connais donc les salutations au soleil. Hé bien surprise ! Le Yoga et le Namaz (les prosternations sur le tapis dans la Mosquée) se ressemblent énormément ! On se lève, on s'agenouille, on met le front au tapis, on répète le tout, on se lève, on met les mains au coeur... C'est très physique, une prière, dans l'Islam.  On travaille son cardio. Je suis ébahie de découvrir cela. On ne reste pas le cul pénard sur un banc en dormant au gaz. Nenon. On prie activement, c'est le cas de le dire. On a chaud. C'est de l'exercice. On doit mériter son ciel, ici. Et j'aime l'ambiance. On voit toujours ces images de prosternation à la télé, surtout lorsqu'on parle de fanatisme... Mais croyez-moi, ça n'a aucun, mais alors là aucun rapport avec le fanatisme. Les gestes sont tout simplement méditatifs. Et l'activité physique intense réchauffe le corps, le rend plus propice à la méditation, à l'intériorisation.
Je trouve aussi que les thèmes abordés ressemblent beaucoup à ce qui se dit à l'église. Les prophètes et personnages historiques sont les mêmes: Moises, Abraham, Jésus, etc. Les gens répètent en choeur les prières, les mains au ciel, comme pendant le Notre-Père en Amérique Latine. Ils ont à la main un collier de billes, qu'on pourrait aisément comparer à nos chapelets. On a perdu ces traditions, au Québec. On tient ici aussi nos mains jointes au coeur, un peu comme chez nous. On dit "Amin" (Amen) à la fin. Comme chez nous. Inutile de le nier, le Christianisme et l'Islam ont terriblement en commun.
Alors ma question est: Pourquoi a-t-on peur d'une religion si semblable à la nôtre ?
Ma réponse est simple: L'endoctrinement. Les gens chez nous ont peur de croire. Et les gens croient que la violence est enseignée dans l'Islam. Ce n'est pas le cas. Si certains groupes sont fanatiques, je peux vous garantir que la joie que j'ai vu dans cette mosquée n'a rien à voir avec ces idéologies. Du fanatisme, on en a partout. Le problème, c'est qu'on est obsédé par le fanatisme religieux. On ne parle jamais autant du culte du corps, ou de la folie matérialiste des pays occidentaux. Ou de la convergence médiatique qui manipule l'opinion publique. Non. On ne parle que de religion. Aussi, les gens ont cette idée que la religion doit être pratiquée à la maison.Je ne vois pas comment on peut vouloir individualiser la pratique religieuse, quand dans le fond, c'est la pratique communautaire qui la rend si enrichissante.

 Mon opinion: On ne peut pas croire à temps partiel. Ici, en Turquie c'est un pays laïc. Pendant les heures de travail, ça me prie pas. Les femmes ne portent pas le voile dans les institutions non-plus. Le résultat est le suivant: bien des femmes intelligentes mais voulant porter le voile ne travaillent pas, par choix. Elles préfèrent rester à la maison que de porter le voile à temps partiel. Je trouve que c'est un terrible sacrifice intellectuel que de perdre ces femmes, souvent universitaires, sur le marché du travail. Vous me direz: C'est macho, le voile. C'est la preuve. Peut-être bien, mais bon, le fait est que bien des femmes le portent par choix. Dans une même famille, une femme peut le porter, mais pas les autres. C'est le cas de mon amie Gülsüm, qui le porte, mais pas sa soeur.
Dans l'interdiction, on pense libérer la femme, mais on la pénalise souvent.

Bof. J'suis pas là pour vous convaincre d'adopter mon point de vue. Je ne suis moi-même pas musulmane. Mais je n'ai plus peur du tout de ce qui se passe "à l'intérieur", maintenant.
À la sortie, on nous a distribué des cornets remplis de bonbons. J'aimerais qu'on fasse ça dans les églises. Peut-être qu'ils attireraient plus de gens.

Ma journée "musulmane" est donc finie. J'ai beaucoup appris. Et j'ai beaucoup laissé tomber de préjugés. Ici, ce n'est pas l'Arabie Saoudite. Y'a pas beaucoup de femmes en noir, je n'ai vue aucune femme au  visage couvert (pas de voile intégrale, ou du moins à peu près pas). Et je n'ai pas sentie que je choquais quiconque avec ma face d'occidentale à la recherche d'infos.

Ah oui !!

Nouvelle du jour: le candidat turc d'Eurovision, le célèbre concours musical, s'est qualifié lors de la deuxième demi-finale, ce soir. Il va compétitionner en finale cette fin de semaine. Alper nous a promis un snack de la mort qui tue pour cette soirée de tivi européenne.

J'ai promis des photos. Elles suivront bientôt.

À plus !

1 commentaire:

  1. Wow Marie-Eve, lire ton blog est tellement enrichissant. Tu as pensé écrire un livre.

    Manon Deraîche

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