Jour que je n'oublierai jamais.
J'ai eu la chance d'une vie.
Merci la vie de m'ouvrir des portes que je ne croyais pas accessibles. Et merci Dieu/Allah pour m'avoir donner le goût et le courage d'y entrer.
Ce matin, j'avais rendez-vous avec Yusuf à 9:00 mais il ne pouvait plus m'accompagner, car un groupe de touristes arrivait et il devait travailler à l'hôtel. Il a donc demandé à Sedat, un autre employé de l'hôtel, qui ne travaillait pas en matinée, de jouer au guide.
J'avais vu Sedat la veille et je savais qu'il était de confiance. De toute façon, le risque de me faire niaiser était faible, leur patron mettant la réputation de l'hôtel entre leurs mains.
On part donc en Ford Tourneo Connect pour nous balader au gré des routes, comme la veille. Sedat est aussi un Kurde. Il est marié et a une petite fille de trois ans. Il travaille à l'hôtel, mais sa famille vient d'un village en périphérie de Midyat. Il me dit alors: "Veux-tu voir la vraie vie?" Et moi, bien évidemment (car vous savez que c'est ce qui me plait le plus en voyage), je dis ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii. lol
Il passe un coup de fil rapidement et me dit: "On va aller visiter une Église et sur le chemin du retour, je te montre mon village, l'agriculture, et on déjeune. Un déjeuner de village. "
Bien d'accord avec ça. Je vais chez les Kurdes! YAY!
Alors on part visiter les églises et monastères qui me manquaient de la veille, dans un contexte différent, plus aride, et sur des routes en méandre. Quand je monte les marches, j'ai de la misère à retrouver mon souffle... et je me rends compte que je suis un brin en altitude et que la patate me travaille un peu.
On part ensuite au village. Au début, j'ai l'impression de me retrouver dans un endroit complètement délabré et miteux. Les maisons me semblent pauvres, elles sont en grosses pierres, et c'est exactement l'image que je me faisais des taudis de ces régions arides comme on en voit tant dans les films. Mon cerveau commence à se faire du cinéma. Je m'imagine des demeures lugubres, sombres, austères, qui laissent passer le vent et la pluie, avec un sol en terre battue. Je m'imagine le tiers-monde, les enfants avec des grosses bedaines de malnutrition.
Et là, lumière! On entre dans une cour. Et les couleurs apparaissent. Sedat me présente sa cousine, le mari de cette dernière, et la famille élargie, les enfants de tous, on m'offre le thé, on tente de me parler, mais les femmes parlent à peine le turc. Ici, on est chez des Kurdes. Ça parle kurde. Je suis accueillie comme une reine. Les enfants me regardent, curieux. Ils ne sont pas habitués aux étranges étrangers. Je m'installe timidement sur une chaise de patio, dans leur cour intérieure et j'observe. J'observe une pré-ado et son frère préparer des marinades. On dirait des cornichons mais le légume est différent. J'observe les habits des femmes, typiquement kurdes. Pantalons bouffants, le foulard attaché derrière la tête (rien à voir avec le voile fermé), les boucles d'oreille en or (dans mes goûts). Les femmes rient et parlent fort. Sedat me dit en pointant sa cousine: "C'est elle le boss" et le mari d’acquiescer aussitôt. J'éclate de rire.
Puis, on me fait passer dans la maison. Là, je comprends. Je comprends en voyant l'épaisseur des murs. La structure rocheuse aux airs rustiques est épaisse d'un mètre au moins. Ça garde la chaleur l'hiver et offre une fraîcheur évidente en été. L'intérieur de la maison a des murs blanchis à la chaux, des plafonds cathédrales, des tapis confortables et des coussins. Dans le fond, un écran plat plus moderne que le miens à la maison trône royalement. Ah cette technologie! Même les Kurdes les plus kurdes s'y sont mis. hihihi. Cette télé et les cellulaires sont cependant tout ce que je vois "d'occidental", pour employer cette expression qui ne peint pas un vrai portrait de ce que je veux dire.
Un petit déj attend sur le sol. Je m'assois à la place du centre car je suis l'invitée et j'ai la meilleure place, bien sûr. On me dit que je peux prendre des photos. Dès que je commence, le petit garçon de la famille fait la même chose de moi avec son cellulaire. :D C'est un bel échange culturel. Je le photographie qui me photographie. On rit. Pas besoin d'avoir la même langue pour se comprendre, dans le fond. Il faut juste un peu d'humour et de l'ouverture d'esprit.
On me dit de goûter à tout et que tout est fait maison. Le village est un village agricole. Ils font tout pousser eux mêmes et produisent leur propre viande, leur propre fromage, leur propre yogourt, leur propre beurre, leurs propres oeufs, leurs propres olives, etc.
J'ai devant moi de ces légumes marinés vus quelques instants plus tôt (les faux cornichons) que je goûte. Mmmmm... Un goût de vinaigre et d'ail, bien défini, parfaitement équilibré, avec le croquant du légume qui ressemble visuellement à un okra, mais n'en est pas un.
J'ai devant moi du fromage de brebis, et un mi-fromage mi-yogourt, un peu comme un caillé. Délicieux.
J'ai aussi devant moi un drôle de petit légume qui ressemble à un melon miniature, avec les mêmes rayures sur la peau. On le coupe et le sale, et on me le donne. Je goûte... C'est une sorte de concombre! Carrément! Un concombre rond et plus sucré. Mais un concombre.
Les olives noires marinées. Les tomates bien rouges. Le pain maison, une sorte de lavash ou de chapatis, vous savez, ce genre de pain plat géant et élastique, sans levain. Un régal, surtout avec le beurre maison.
Les oeufs sont si frais que je suis presque certaine qu'ils sont passés de la poule à la marmite sans délais.
Et le thé est délicieux. Le melon vient des terres du cousin. Il est si juteux. C'est péché.
Puis les raisins. On me sert deux sortes de raisins verts, dont de très petits hyper sucrés.
Et la pâte d'olive, une sorte de tapenade maison.
Et je mange, et je mange, et je goûte à tout. On me sert. On me gave. Et je pense "Ahhhhh J'espère que je ne serai pas malade avec tous ces produits de la ferme!" Mais j'y pense une seule petite minute. Je me dis que j'ai assez voyagé pour être capable d'en prendre. J'ai bien des anticorps.
Je vous dirais que ce déjeuner dans cette famille kurde typique, c'est un des plus beaux moments de ma vie, ni plus ni moins. La "boss" dit à Sedat que je peux coucher chez elle sans problème ce soir, si je veux annuler mon hôtel. Sans argent, gratuitement. Comme j'ai payé mon hôtel d'avance, j'ai dû refuser. Surtout que je pars pour Hasankeyf demain.
Mais l'offre était si formidable que je devrai revenir juste pour en bénéficier. :) Oui, je veux revenir ici!
J'ai l'impression d'avoir une chance folle de faire de si belles rencontres. C'est presque irréel. Sedat comprend que j'apprécie le moment. Je ne comprends pas la langue, je suis dans un village dont je ne sais pas le nom, je mange des trucs inconnus, je ne me pose plus de questions. Je suis à ma place, au bon moment, au bon endroit. Cet instant est à moi.
Lorsque je les quitte, j'ai perdu au moins la moitié de mes préjugés. Le village que je trouvais miteux est devenu si exceptionnel, à mes yeux, que je prends des tas de clichés. Les femmes, que je trouvais si soumises, à première vue, sont devenues pour moi des chefs de famille, des femmes en charge de leur maison et de ce qui s'y passe.
Le cousin décide de venir finir la journée avec Sedat et moi. Il aime ça voir des étranges étrangers. Il est aventurier à sa manière, faute de pouvoir se payer un billet, après tout. Ça me fait plaisir qu'il nous accompagne. Il nous amène dans ses champs pour cueillir des melons. Ils ont la forme de ballons de football américain et sont différents de ceux que j'ai vu jusqu'à maintenant. Puis, il arrête dans un champ de tournesol. La saison de la floraison est terminée et les têtes sèchent. Ce pays raffole des graines de tournesol et de son huile. Il me revient avec une fleur complète et me dit qu'on pourra la manger plus tard. J'ai jamais vu une fleur de tournesol de près. Je veux dire, un vrai tournesol, avec les graines séchées.
Aujourd'hui, plusieurs Syriaques nous ont aussi reçus. Un Pope m'a gentiment fait visiter son église. Il était si fier et content d'avoir une petite touriste dans son havre. Aussi, nous nous sommes rendus dans un monastère épatant perché dans un village à couper le souffre. Pour s'y rendre, il a fallu traverser le camp de réfugiés syriens vu la veille. Le gendarme a laissé passé notre voiture et j'ai pu prendre des photos et même un vidéo. J'ai vu les réfugiés errer dans le camp, les tentes, les barbelés, etc. C'est terriblement impressionnant. Les camps sont bien organisés mais un camp reste un camp. Ça ressemble à une prison temporaire. Les réfugiés ne peuvent pas se promener librement dans le pays. Ils doivent rester au camp, un point c'est tout. Je regarde partout. Je ne m'attendais pas à cette expérience.
Le village lui-même est au bout de la route. Il est tout en hauteur, sur une route en serpentins. À notre arrivée, on nous dit que l'église est fermée aujourd'hui, car un Syriaque est décédé. Mais dès qu'ils se rendent compte que je suis étrangère, et qui plus est de l'Amérique, du Canada... Wow! Le Syriaque en charge de garder le lieu nous dit de faire vite avant que le Pope ne s'en rende compte et ils nous ouvrent une minuscule porte digne des sept nains de Blanche-Neige. On se faufile dans l'Église et elle est superbe! C'est comme ça que ça fonctionne avec les Syriaques. On doit obtenir leur permission. Quand on l'a, on visite gratuitement.
Sedat a fait du bon boulot. Il me dit que si jamais je veux revenir seule ou avec mon mari, qu'il nous arrangera un séjour dans les villages kurdes sans qu'on ait besoin de payer. Les Kurdes sont accueillants et fiers. On est loin des terroristes que la télé nous a toujours présenté.
J'ai soupé seule sur la terrasse de l'hôtel. Un bon guveç de poulet (casserole de fonte, un peu à la plancha)... Puis, j'ai reçu une surprise: un demi melon bien taillé en tranches et un tournesol complet. hihihihi. Mes denrées recueillies en matinée m'étaient servies en dessert, pour couronner cette journée exceptionnelle. Avec un bon thé, naturellement. Sedat est venu me trouver et on a mangé les graines de tournesol à même la fleur. Elles étaient encore fraîches, et naturelles. C'était délicieux. On a aussi bavardé toute la soirée de tout et de rien. J'ai appris à mieux le connaitre et il m'a aisément transmis sa fierté kurde.
Je suis surprise de voir que mon turc fait son travail. Je ne suis plus une débutante, là. J'ai progressé. Et sans aucun problème, on finit toujours par se comprendre. Parfois, quand ça sort bizarre, ou que je cherche un mot, je ris et lui aussi. Je me rends compte que je traine un mini dictionnaire de poche turc-anglais depuis le 31 août et que je ne l'ai jamais utilisé.
Je suis une femme, je voyage seule, je suis en région kurde, je n'utilise pas mes langues habituelles mais bien une nouvelle langue... Bref, je viens de franchir une nouvelle étape dans ma "carrière" de voyageuse. Je me trouve pas pire du tout. J'ai des couilles, comme on dit. Ça, c'est indéniable. La beauté de la chose, c'est d'en être arrivée là quand les gens autour de moi voulaient m'en dissuader. Je suis fière de moi. J'ai presque douté, pendant un instant. J'ai presque choisi la sécurité de mes repères habituels.
Il faut croire en ses rêves, et saisir ces chances d'une vie, parfois. C'est ce qui m'a poussé en avant.
Oui, il le faut.
Sans quoi la vie n'a aucun sens.
Et il faut apprendre de l'autre, non le craindre.
Il faut célébrer la diversité. Évoluer à travers celle-ci.
La seule façon de changer le monde, c'est de véritablement regarder l'autre dans le blanc des yeux.
Il y a de la beauté dans les endroits les plus inespérés. Et l'égalité, la liberté sont des valeurs que l'ont doit reconnaitre. Sans pour autant détruire l'autre. J'aimerais que mon Québec que j'aime comprenne ceci. Mais j'ai abandonné l'idée depuis longtemps. Il est plus simple de vivre dans un pays organisé au maximum et de faire du conformiste la règle d'or. Je me demande quelle sorte d'enfants ça va créer. Et quelle sera notre place dans le monde, une fois que nous seront tous les mêmes, sans couleurs. Sans saveur.
Il faut célébrer ce qui est beau et instruire pour inhiber ce qui l'est moins. Et surtout, il faut respecter le libre arbitre qui est propre à l'humain. Cette conscience qui nous différencie des autres espèces de la Terre. Ce qui nous donne notre saveur et notre individualité.
Ça commence bien ma journée, cette splendeur inégalable...
et ce soleil de plomb :D
L'ombre de Dieu
Autel syriaque classique
Petit déjeuner kurde... Il manque des plats qui sont venus plus tard.
Je prend en photo un enfant qui me prend en photo...
et je suis un extra-terrestre pour le tout petit.
Mon guide Sedat et le mari de sa cousine
Le village de mon ami Sedat... L'exotisme :)
Il y a de la beauté cachée partout
Reçue par le Pope syriaque. La dame qui prépare son riz pour farcir les sarmas (feuilles de vigne ou de chou) et les dolmas (légumes farçis comme les piments, oignons et aubergines)
Ceci est une route. Oui oui.
Le camp de réfugiés syriens
Agriculture locale, toujours bio.
Magnifique village digne d'un film
Et superbe église, qui a été ouverte exceptionnellement pour nous malgré un décès.
Oui, on dirait un film
Moi sur le toit d'une église
Ma fleur de tournesol séchée. Les graines sont à la verticale dans la fleur.
Le cousin de Sedat qui nous cueille un melon
Drette du champ. Son champ.
Ma famille kurde :)
Lavage de vaisselle. On est tous pareil, hein?
On jase autour d'un bon repas
Pope qui prie.
Joyeux attelage matinal
J'aime cette photo. J'aime les mamas bariolées.
Ce sont ces concombres bizarres dont je vous parlais!
Le fameux pain plat. Un pur délice.
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