Ma journée ne se résume pas qu'à cela, mais ces deux termes en ont dicté l'essence.
Sibel est une des belles-soeurs d'Özlem. Elle est la soeur d'Alper, en fait, mais pourrait bien être sa mère, car Alper a à peu près le même âge que son cousin. Sibel est très accueillante et bienveillante. Elle m'a souvent reçue chez elle depuis Août 2011. Sibel, elle suit un cours d'interprétation coranique avec d'autres madames. Le groupe dont elle fait partie organise aussi des activités sociales et des voyages. Aujourd'hui, c'était une journée de pique-nique. L'endroit prévu: une petite base de plein-air située à environ une heure de la grande Sakarya, sur la rivière du Lapin, et supposément près d'un Lac (Süçlülük gölü, carrément Le lac des Sangsues, en français!) Comme le groupe avait réservé un autobus ayant 20 places, mais qu'elles étaient 14, on nous a invité. Comme ça, tout bonnement. Même si je ne fais pas partie du club. On paie 15$ par personne, et ça inclut le transport en bus, un souper complet, et l'accès à la base de plein-air. Les madames prévoyaient bruncher sur place. Elles s'étaient donc données chacune la tâche de préparer un truc et pour Özlem et moi, c'était donc un pique-nique "clé en main".
J'arrive avec Özlem vers 10h du matin à la Mosquée de Kahraman, lieu de rassemblement obligé pour un club d'interprétation coranique. Je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Oh my God ! L'accueil fou des madames, excitées comme des gamines d'avoir une "étrange" avec elles pour la journée ! Et encore pire, une étrange qui comprend à 40% environ le Turc et le parle, ma foi, de mieux en mieux. Moment de folie totale ! On est au total 18 personnes à faire la route, dont deux enfants (une fillette et un p'tit gars). Ça m'embrasse, ça me flatte les cheveux, ça me reçoit à coups de "Hos Geldin!" (bienvenue).
Là, je regarde Özlem et je lui demande si j'ai besoin d'un foulard pour mes cheveux. Elle et moi, avec Sibel, on est les trois seules à être sans voile. Non, une quatrième "sans voile" arrive.
Ôzlem de me dire: "nenon, relaxe, t'es en Turquie ici !".
Comme si cette expression devrait me sonner une cloche. hi hi hi.
"Ici, t'es pas obligée. Tu dois porter un voile dans les mosquées ou les sanctuaires religieux, c'est tout. Relaxe! Moi non plus j'en porte pas, pis j'en ai même pas un dans ma sacoche au cas où", qu'elle me dit en riant.
Si elle le dit, je vais la croire.
Ça piaille fort, ça rie à gorges déployées, ça caquette. L'énergie est super.
Le propriétaire de la base de plein-air vient nous chercher. Première surprise: y'a juste 15 sièges et on est 18. Les madames pètent toutes une coche en même temps. "Vous nous aviez dit un bus de 20 personnes, nous on a invité trois personnes de plus, bla bla bla"...
Pas grave, on est en Turquie. Une madame emprunte trois tabourets de plastoche à la mosquée, on installe des madames dessus dans l'allée centrale du bus, et on part.
La route est sublime. On s'enfonce dans la campagne de la province de Sakarya, on passe des villages pittoresques, il y a des montagnes qui me surprennent pas leur hauteur, un peu partout. Des bergers promènent leur troupeaux de moutons sur le bord de la route. La route s'entortille. On dirait une grosse brioche à la canelle.
Arrivées à la base, notre gang de madames s'extirpe du bus, et se garoche sous les auvents pour dresser la table du "pique-nique brunch". Je les regarde faire et je commence à capoter. Y'a de quoi nourir une armée ! Débile ! Et y'a rien de plus traditionnellement truc que ce que mes yeux découvrent.
Je vous ai déjà parlé, l'an passé, de l'Importance du petit déj en Turquie... Hé bien, vous allez mieux comprendre ici.
On me sert, sans me demander si j'en veux: des boulettes de boulghour aux piments (très épicées), des dolmas (feuilles de vignes marinées farcies au riz), des petits pains farcis à la viande et aux légumes, des böreks (genre de feuilletés filo) aux oignons, de la salade de tomates, du gâteau aux noix, des petits pains au sésame fourrés au fromage, du beyaz peynir (la féta turque), du kasar (fromage qui ressemble à de la mozzarella), du fromage éfilloché, des olives au citron, de la confiture de fraises maison, de la confiture de pommes maison, un oeuf bouilli, du pain de blé, du thé et des biscuits.
Özlem et moi, on mange comme des truies. Sincèrement, on a un peu abusé... Mais vous savez, quand tout est fait maison, ce qui était le cas ce matin, on ne veut froisser personne. On goûte à tout, on se bourre l'estomac, et on se dit qu'on ira marcher après pour faire passer le tout.
Après, on se met franchement à rigoler. Özlem, Sibel, une madame crampante et moi, on trouve des dépliants de la base de plein-air... Sur lequel il est écrit que le personnel souriant était disponible pour nous... Avec une photo d'une gang de gars avec une face de mort pour illustrer le tout.
Voyez par vous-mêmes:
Bref. Y'a pas grands sourires là-dessus... Mais la madame... La fameuse madame crampante... Elle a passé la journée à caller les p'tits jeunes qui travaillaient en leur montrant le feuillet et en leur disant de sourire.
Après avoir fait le tour de la base de plein-air, on se demandait y'était où le fameux lac des Sangsues. Le proprio nous dit: "à 1300 m. sur la montagne, mais on ne peut y aller présentement". Là, le chialage recommence en choeur. "Ouais, mais vous nous aviez promis un lac, on veut le lac." ou encore "Un p'tit bus au lieu d'un gros, pas de lac au lieu d'un lac..."
:D
Des Turcs qui gueulent, by the way, ça parle aigü en p'tit péché. C'est pas difficile de se rendre compte qu'il y a du mécontentement dans l'air. Pas besoin de parler turc, croyez-moi. Finalement, Sibel s'en va jaser toute seule avec le gars et nous revient en disant ceci:
"On peut aller au lac, mesdames, il accepte de nous y emmener, mais la route est terriblement dangeureuse et c'est très risqué de s'y rendre. Qui veut venir, lève la main".
Et elle lève sa main. Elle fait un clin d'oeil à Özlem en même temps, qui lève sa main. Et moi qui suit Özlem, évidemment. Au total, on est 7 à lever la main.
Plus tard, sur le chemin du lac, dans la voiture du Proprio, Sibel rigole en disant qu'elle a exagéré le danger expressément pour que les madames peureuses s'abstiennent, car le chauffeur ne pouvait pas prendre plus que 7 passagers dans sa van. Stratégie ! Stratégie ! Stratégie! Bravo Sibel ! Car en fait, même si la route m'a effectivement transformée en fantôme tellement j'ai blêmi (des méandres d'une route minuscule montaient 1300m, avec un dénivelé douteux... pis la route était en terre et en garnotte, avec des gros nids de poules causés par la pluie), le lac en valait la peine, mais alors là, OUI ! C'était d'un vert émeraude fabuleux ! Le son de dizaines, voir de centaines de grenouilles s'élevaient, signe que le lac était en excellente santé. Sublime ! J'avais jamais vu un lac aussi vert de ma vie ! L'eau était de la même couleur que les arbres, et ceux-çi se réflétaient dans les flots tranquilles.
Mine de rien, après toutes ces aventures, il était 17h lorsque nous sommes revenus à la base. L'heure de souper. Ouf ! J'avais encore mon brunch dans la bedaine... Mais bon, le souper était inclus... On nous arrive avec des salades turques (oignons, tomatrs, concombres, piments et une huile d'olive parfumée aux herbes), et la fameuse Mihlama (soupe au beurre et au fromage, qui ressemble à la fondue suisse, version turque), et des pains en forme de roues. Puis, j'ai droit à un poisson entier gratiné au kasar cuit "güveç", à la casserole, ou si vous préférez, sur une petite plaque de fonte servant aussi d'assiette. Le poisson, le alabalik, est élevé en pisciculture sur place, donc il est très très frais. On nous sert aussi des champignons gratinés cuits sur une plaque de fonte. Pour équilibrer le tout. Non mais, je roule ! C'est un des meilleurs repas que j'ai mangé de ma vie ! Je ne peux tout simplement pas vous décrire les saveurs. Trop intenses. Mais je vous laisse quelques photos de ma journée, pour que vous puissiez vous imaginer un tant soit peu de quoi avait l'air cette journée de sacoches.
Au retour, lorsqu'on s'est engouffrées dans le bus trop petit pour nous toutes, le chialage a repris de plus bel.
"Madame Crampante" a lancé un retentissant: "Fermez-la, vos maris vous attendent".
Et tout le monde a pouffé de rire.
Même le chauffeur.
Elle lui a lancé : "ahhhh ! Personnel souriant!!!", pour mettre un terme à cette journée.
J'ai bien rigolé.
Moi, Özlem et Sibel, en pleine dégustation d'un café turc
Portrait de femmes extraordinaires qui ont fait de cette journée un plaisir pour moi
Les colorées du jour ! :)
On boit un thé pour "équilibrer" notre estomac, après cette orgie de bouffe au brunch.
Pour votre info, au Lac aux Sangsues, y'a pas de sangsues... Mais y'a des grenouilles ! À la dizaine !
Les roses sont en fleurs, ici. Ça sent merveilleusement bon.
Moi, encore fébrile après la "rail" de char en montagne, et toute ébahie de découvrir
ce lac d'un vert décadant.
La fameuse "Mihlama", une soupe au beurre et au fromage (plusieurs sortes de fromages), parsemée de canelle. Un met de la région de la Mer Noire, traditionnellement.
Madame Crampante et moi, en pleine action. Oui, ça se mange de même, by the way.
Humm... Mon alabalik entier, un bon poisson blanc tout frais et gratiné de Kasar, un fromage turc, ici avec du citron et des tomates confites.
Première assiette de mon brunch: Des concombres, des olives citronnées et un Börek aux oignons
Deuxième assiette: du kasar, du fromage effiloché, une salade de tomates et du pain de blé avec de la
confiture aux fraises maison. On voit en arrière-plan le boulghour épicé et mon thé turc.
D'autres assiettes ont suivies, d'ailleurs.
Les belles-soeurs: Sibel et Özlem. Sibel est l'ainée de 7 enfants, et Alper, le mari d'Özlem, est le septième trou de la flûte, comme on dit ici.
Des coins-coins qui dorment ! Sur une patte et les yeux ouverts ! J'avais encore jamais vu ça.
Hummm... La fraîcheur d'une rose en matinée...
Özlem, ma soeur turque. :) Y'a de ces rencontres, parfois, qui nous marquent à jamais.
La gang de sacoches en scéance de placottage intense.
Süçlülük Gölü
Sibel et moi au Lac. J'aime beaucoup Sibel, car elle m'a toujours considéré comme une des leurs, depuis que je la connais. Grâce à elle, entre autre, je ne me sens plus étrangère dans le coin.
Même panorama, angle différent.
La fameuse mosquée de Kahraman, celle où je suis allée la semaine dernière. Kahraman, c'est le "quartier-ville" d'Özlem, à Sakarya. Un peu le Ste-Blandine de Rimouski, car c'est en hauteur ;)
Cette mosquée ressemble à un bonbon. Je la trouve superbe !