lundi 21 mars 2016

L'inusité du moment présent...

L'inusité du moment présent. Ouais.
C'est souvent ce à quoi je pense pendant ce voyage. Il y a des jours où les moments inusités se succèdent inlassablement, vous savez, comme si c'était juste ça, la vie. Ça me plait en fait.. Principalement parce que ça me pousse au-delà de mes propres frontières intérieures, tout simplement.

L'inusité du moment présent se terre aussi dans les temps d'arrêt, les pauses, les moments d'attente, qui ma foi sont assez nombreux en voyage. Pour bien voyager, il faut être confortable avec "son soi-même"; il faut savoir accepter que tout ne va pas toujours vite, que la lenteur peut être là pour durer un bout.

Hier, par exemple, j'ai vécu beaucoup d'inusité, beaucoup d'absurdité et j'ai eu l'impression que la vie pouvait être très bonne pour moi, même dans des moments complétement déconnectés de ma propre réalité et même de certaines de mes valeurs. Parce que nos valeurs peuvent aussi être remises en question. Ne point remettre ses valeurs en question, c'est triste. Ça veut dire qu'on est un peu stuck up. Ça veut aussi dire qu'on considère notre propre réalité comme étant la seule possible.  Voilà.

Éric et moi devons vous parler encore du notre hôtel le Chedi Home, un lieu complètement perdu dans l'espace. Il s'agit d'un délicat oasis de verdure en pleine ville, totalement à conseiller aux amoureux des petits hôtels bien personnels qui ne resemblent en rien aux grosses chaînes. Ce qui me fait sourire, c'est de me faire servir à déjeuner à tous les matins par cette délicate et frêle jeune fille... qui est en fait un garçon. Un ladyboy, comme on les appelle dans ce pays. Les ladyboys sont visibles partout. Je ne sais pas encore s'ils sont bien acceptés ou non dans la société thaïlandaise. Je vais continuer d'y songer en espérant trouver ma réponse avant la fin de fe voyage. Ce qu'on doit savoir sur les ladyboys, c'est avant tout qu'ils ne sont pas seulement des "amuseurs" ou des prostitués. J'avais cette idée totalement ridicule en tête avant de venir visiter ce pays. Mais non, les ladyboys occupent des emplois comme les vôtres aussi; ils peuvent être restaurateurs, serveurs, stars de la télé, propriétaires de commerces. Leur métamorphose est si bien réussie qu'on croirait vraiment être en face de femmes. Seuls certains détails peuvent tromper: un ton de voix un peu plus grave, des épaules plus carrées, une dizaine de centimètres de plus que les autres.  Si on compare au Canada, le pourcentage de transgenres qui s'affiche est hautement supérieur. Est-ce qu'il y en aurait plus ici? Ou est-ce plutôt une terre d'accueil pour tous les transgenres d'Asie du Sud-Est? Est-ce simplement plus accepté? Ou est-ce une belle façade? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c'est que ces gens sont comme tout le monde et une fois l'effet surprise de passé, on s'habitue rapidement à les côtoyer. Ils sont d'une douce politesse qui contraste avec les clichés des transgenres présentés dans les émissions télé, lesquels sont presque toujours excentriques et hyperboliques.

Hier, nous avions une excursion de prévue dans l'extrême nord de la Thaïlande, dans le secteur de Chiang Rai puis au triangle d'or. Notre guide Mai est venue nous chercher à 7h00 du matin et nous étions un petit groupe de douze, ce qui parfait pour ce type de journée. Éric et moi nous sommes donc retrouvés avec des gens de la Chine, des États-Unis, de l'Espagne, du Chili, de la Malaisie, de Taiwan et de l'Iran. Oui, de l'Iran. Lorsque le couple est entré dans le minibus, Éric et moi on se demandait bien de quel endroit ces gens venaient. On ne reconnaissait pas la langue, qui était beaucoup plus musicale que les langues qui nous gavent les oreilles habituellement . Éric suggérait le Pays Basque. Moi la Roumanie ou la Hongrie. En fait, si Hamid ressemblait vraiment à un gars du Moyen-Orient, Pinar, elle, n'avait vraiment pas l'air de l'Iranienne que j'ai si souvent vu à la télé... Elle était blonde, maquillée soigneusement, presque trop, en mini short avec une camisole à bretelles spaghettis, avec un bronzage plus que parfait. Elle avait plutôt l'air d'une Espagnole en vacances avec son teint hâlé. Elle représente pourtant la typique jeune iranienne. Je m'en rend bien compte maintenant.  Dès qu'elles sont en vacances, ces jeunes femmes balancent parfois le voile et les vêtements amples pour faire comme à "l'occidentale". Elles sont instruites, modernes, elles ne détestent pas l'Occident (contrairement à la croyance populaire). C'est assez bleuffant. Déconcertant. J'ai beau en connaître beaucoup plus que la plupart des gens de mon entourage sur les Iraniens, j'écartèle quand même un peu plus mon esprit à chaque fois que j'en rencontre un. Ça fait du bien de faire cette gymnastique de fonte d'idées préconçues. Un préjugé, c'est tellement épuisant à traîner. Il nous pousse à nous insurger sans trop savoir et à dépenser de l'énergie à la mauvaise place.

Notre parcours nous a mené en premier lieu au White Temple de Chiang Rai, un temple assez récent, construit par un des plus grands artistes de la Thaïlande. C'est un vrai temple qui sert réellement à la prière, mais il est aussi une oeuvre d'art en soi. Le temple est totalement blanc, et truffé de miroirs  partout. À certaines heures, le soleil le fait reluire de mille feux. Lorsqu'on y arrive, un superhéros nous y attend pour veiller sur nous. À l'intérieur, plusieurs Boudha de toutes tailles trônent paisiblement... entourés d'Elvis, de Jack Sparrow, de Batman, des Minions, de Michael Jackson, de la Matrice, etc. C'est tellement étrange, voir loufoque! J'ai demandé à Mai de m'expliquer la raison de la présence de ces personnages dans un temple bouddhiste.  Elle m'a expliqué tout bonnement que la vision de l'artiste était de rappeler aux adeptes que les véritables superhéros, ce sont les Hommes. Que tous les autres, ce sont des inventions ou des personnages incarnés par des hommes, ni plus ni moins. À chaque fois qu'un personnage ou un événement marque l'histoire du monde, il est donc ajouté à la murale du White Temple. En rappel de l'imagination de l'Homme qui minimise ses propres capacités à trop aduler des idoles fausses. C'est aussi un merveilleux clin d’œil aux détracteurs des religions que de mettre toutes ces icônes face à Bouddha. Si prier un dieu ou une instance religieuse s'avère ridicule pour les athées, l'adulation de personnages inventés par l'homme le semble tout autant pour un religieux. La ligne est assez minime. On sait très bien que certains chanteurs rocks ont été de véritables gourous pour certaines générations. À bien y penser, l'adulation fait simplement partie des mœurs des Humains. On remplace un engouement par un autre. Certains vont même plus loin: ils se placent eux-mêmes au centre de leurs vénérations, se faisant invincibles, et de ce fait intransigeant. Éric et moi avons beaucoup aimé ce temple, principalement parce qu'il est unique en son genre, qu'il est porteur de messages multiples et est l'incarnation même de l'art éclaté des années 50 à 80. De l'inusité dans sa forme la plus pure.

Par la suite, nous avions rendez-vous dans un des villages Karen de Thaïlande. Là, nous avions peur, Éric et moi. Peur de tomber dans le cliché du cirque humain. Je vous explique. Les Karen sont ces femmes au long cou, ces femmes girafes provenant initialement de Birmanie, mais maintenant aussi établies en Thaïlande. Ces femmes, à partir de 5 ou 6 ans, commencent à porter des anneaux autour du cou, et plus elles avancent en âge, plus on en ajoute. Contrairement à la croyance, leur cou est allongé non pas par un étirement de celui-ci, mais bien par la descente des épaules, compte tenu du poids important des anneaux de bronze. C'est vraiment impressionnant. Certaines femmes peuvent avoir jusqu'à 25 anneaux. Un collier  pèse environ 15 livres. Il y a de quoi avoir un affaissement des épaules, effectivement. Ces femmes portent les anneaux traditionnellement à cause de vieilles croyances voulant que les tigres attaquaient les femmes par le cou pendant leur sommeil pour les tuer. Les anneaux étaient donc présents pour protéger les femmes des dents des tigres et ainsi assurer la pérennité de la tribu (plus aucune femme = extinction). J'ai été surprise de découvrir que ces gens sont Chrétiens et fort pratiquants.  Je m'attendais à les voir vénérer des déités loufoques, avec de pareilles traditions, mais non. 

Là où je veux en venir avec mon idée de cirque humain, c'est que ces femmes vivent de leur artisanat, principalement. Elles font du tissage et un foulard leur prend environ deux jours d'ouvrage. L'accès à leur village étant gratuit, leur unique revenu leur provient donc de cet artisanat. Or, plusieurs personnes se pointent là pour braquer leur objectif sous leur nez et les croquer des dizaines de fois avec leurs bébés, d'une façon rustre, malpolie, sans rien acheter, et sans même leur parler.  C'est ce que j'appelle un cirque humain. Je remercie notre guide Mai, qui elle, les connaît bien. Elle nous y a amené avant l'affluence des gros bus de touristes, et nous a beaucoup parlé de leur culture avant. On a pu déambuler tranquillement et discrètement dans le village, et j'ai décidé que j'allais poser des questions, coûte que coûte.  Les jeunes femmes m'ont montré leur travail, m'ont expliqué leur mode de vie. Certaines travaillaient avec un bébé de quelques mois dans les bras. C'est un mode de vie difficile, peu commode, très différent du nôtre. Beaucoup étaient de très jeunes mères. On voit tout de même que leurs conditions de vie se sont améliorées. Elles ont toutes accès à l'hôpital pour donner naissance, maintenant. Elles ont aussi l'électricité grâce à de gros panneaux solaires installés à l'entrée du village. Leurs maris sont souvent dans le milieu agricole et elles ont une alimentation variée, avec des fruits frais, et font sécher leur viande sur les toits.
J'ai pu prendre quelques photos. J'ai demandé la permission avant et elles ont toutes dit oui gentiment, avec ouverture et bonne humeur. J'ai décidé de ne pas poser à leurs côtés, pour ne pas donner la fausse idée que je ramenais un trophée de voyage avec une preuve que j'y étais. C'est fou comme une relation basée sur la véritable communication peut convertir une activité à première vue ridiculement abusive en quelque chose d'agréable et de positif pour les deux parties. J'ai aussi acheté quelques foulards. Pour les encourager, mais principalement parce qu'ils sont vraiment uniques et magnifiques. Je n'ai même pas essayé de négocier. 7$ pour le travail de deux jours, c'est déjà très peu payé. La négociation fait partie de la vie dans ce pays, mais quand le prix me semble acceptable selon mes critères, je ne pousse pas l'odieux à tenter de gratter quelques cents. Surtout si on parle d'artisanat, et non d'une babiole Made in China.

Nous avons passé une bonne partie de la journée avec deux Chiliens fort sympas qui étaient dans notre groupe, et que l'on souhaite ardemment revoir un peu plus tard à Krabi. Nos routes se recroiseront donc fort probablement.  Nous avons partagé ensemble  le moment de la plus grosse attrape-touristes du voyage: La croisière sur la zone commerciale du Triangle d'or sur le Mékong. Le triangle d'Or, c'est la jonction entre le Laos, la Thaïlande et la Birmanie. C'est avant tout une zone commerciale qui a énormément servie au trafic d'opium au siècle passé. Si vous voulez visiter le triangle d'or, de grâce, faites-le par vous-mêmes et ne réservez surtout pas la croisière horriblement emmerdante d'une heure trente sur le Mékong. Le Triangle d'or est une perle, mais nous n'avons rien vu de cela. Au contraire, tout était si kitsch, si quétaine, si ridiculement planifié pour nous trainer dans des marchés cheapos que Daisy (ma nouvelle amie chilienne) et moi ne pouvions faire autrement que de jouer le jeu du kitsch jusqu'au bout. En débarquant au Laos pour 30 minutes (sur une île qui avait l'air d'un gros Dollarama), la seule chose à faire était de boire un bon coup d'alcool de bibittes, comme c'est souvent bu au Laos, Cambodge et Viet-Nam. On a choisi une p'tite shut d'alcool de cobra, tant qu'à y être. Tsé.  Comprenez que c'est aussi une atrappe-touristes, ça! Mais on s'est dit: tant qu'à s'être fait fourrer dans cette activité, aussi bien prendre le p'tit shooter gratos de boisson à la bestiole. Pour vous mettre en contexte, c'est un grand contenant dans lequel trône un cobra mort et gorgé d'alcool (frelaté, bien sûr! On parle de homemade ici haha). On a bu à la santé de tous les gens qui se sont fait fourrer par la croisière sur le Mékong et la sortie au Laos. Ça goûtait la téquila. Rien pour vous faire vomir. Et please, ne me parlez pas de courage quand vous me voyez faire des trucs du genre. Ça prend du courage pour élever une famille de trois enfants avec un emploi au salaire minimum. Ça prend du courage pour apprendre à vivre avec un ou des membres en moins. Ça prend du courage pour changer de vie. Mais manger un scorpion ou boire de l'alcool de serpent, c'est pas courageux, c'est juste un peu trop de folie dans le coco. Probablement aussi un côté exhibitionniste que j'assume entièrement. Je vie des aventures pour ceux qui ne pourront jamais le faire. Ce blog permet à des gens curieux qui n'ont pas la chance que j'ai d'assister à des expériences presqu'en direct. Ça me fait plaisir de partager ceci avec eux.

C'est pour cela que je dis toujours que la lecture de ce blog est facultative. Si ça t'énerve, ne le lis pas, that's it. Si tu viens cogner à ma porte même si tu prétends que je t'énerve, je crois que tu es maso, ou bien un sale menteur héhéhé.

Bref, la journée a été fort sympa, et l'horrible croisière a quand même provoqué de joyeux fous-rires. J'ai même convaincu Éric de prendre le micro dans le bateau et de chanter N'importe Quoi d'Éric Lapointe. Ouf. Mais bon, on pourra dire que du Éric Lapointe aura résonné quelques secondes entre trois pays sur le Mékong. 

De retour à l'hôtel, nous avons croisé Lisa et John, deux Canadiens qui étaient avec nous à la journée des éléphants, la veille. Nous avons décidé d'aller ensemble au Marché du Dimanche, une foire hebdomadaire étendue sur un quartier complet de Chiang Mai. On a beaucoup parlé et ri. On a eu un coup de coeur pour ce couple nouvellement marié, lui avocat de Montréal et elle psychologue de Winnipeg, vivants à Toronto. On a partagé quelques bières, des smoothies à la mangue, des rouleaux de printemps végés et nos adresses courriels / Facebook . Eux aussi, on pourrait les revoir à Bangkok avant notre départ. Ils partent vers le Viet-Nam pour quelques jours, puis reviendront à Bangkok pour une très courte escale. Si le timing est bon, qui sait! C'est toujours un plaisir de rencontrer des gens en voyage. De véritables amitiés peuvent naître de cela. Mon amie Hend et moi en sommes la preuve. Mon amie Özlem aussi. En septembre dernier, nous avions fraternisé avec ce couples de Hongrois expatriés dans le Sussex. Aujourd'hui, ce sont avec des Chiliens et d'autres Canadiens. C'est aussi ça voyager. C'est le partage, la fraternité, les rencontres imprévues et inusités, l'abolition des frontières, du moins momentanément.

Ce matin, nous avons pris un bus aux freins criards vers Suhkothai, l'ancienne capitale du Siam. Nous voulons visiter différents sites parsemant la région dans les deux prochaines jours. Toute la journée en a donc été une de voyage, de route, mais ça prend ça aussi. Ce sont des sacrifices à faire pour en voir plus. Notre hôtel, le Forresto est complètement pété. C'est totalement majestueux, la chambre avec plafond cathédrale, puits de lumière, baie vitrée donnant sur une jardin luxuriant, à côté d'une piscine délicieusement fraîche dans laquelle je sauterai demain matin à la première occasion. Ce soir, nous voulions manger une pizza. Ça arrive, même en Thaïlande. Mais rien ne nous empêchait de le faire à la Thaï.  Nous avions justement remarqué une chaîne de restaurants de pizza / take out tout à fait thaï qu'on voulait essayer. Il y avait au menu une pizza à la soupe tom yum aux crevettes. Ça nous a intrigué, donc on s'est lancé. OMG! C'était carrément une soupe en pizza! Les champignons, les crevettes marinées, le goût puissant de la citronnelle, de l'huile de crevette, de piment... C'était probablement l'expérience pizza la plus étrange de ma vie, mais savez-vous quoi? C'est pour ça qu'on voyage. Pour ne pas faire comme chez nous. Pour saisir notre élan et essayer des choses. Sinon, aussi bien rester chez soi. Le goût du risque, ce n'est pas toujours de vivre de façon extrême. C'est aussi de simplement goûter à des choses ou vaincre une peur.

Même si certains d'entre vous êtes à l'aise et heureux dans votre zone de confort, je vous souhaite tout de même un peu de goût du risque. Ça fait du bien de pimenter son quotidien. Ça régénère, ça revigore. Et on devient de plus en plus confortable avec la pluralité de choix et de possibilité de ce monde si vaste. Pas besoin de vous rendre en Thaïlande pour cela. Un peu d'audace en cuisine, c'est déjà un excellent début haha.

Je vous laisse avec quelques photos.

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